Maître Vincent Luchez a dirigé la préparation du Manifeste du CJCS publié en 2018. On trouvera ci-après son introduction aux huit articles qui le composent.
INVESTIR LA SECURITE
Lorsque la direction du CJCS a décidé de préparer un Livre blanc sur la sécurité privée et de m’en confier la coordination, elle souhaitait avant tout servir de porte-voix à la jeunesse de ce secteur d’activités, et esquisser des solutions pour son avenir. L’idée m’est alors venue de replonger dans un rapport dirigé par le Professeur Yves Roucaute, publié en 2008 par l’Institut National des Hautes Etudes de Sécurité : « Le marché de la sécurité privée en France ». Dix ans après, une bonne partie des maux et préconisations identifiés et formulées dans cette étude restaient d’actualité, hélas. J’ai alors proposé de transformer le projet de Livre blanc, à l’exhaustivité inatteignable et inutile, en un Manifeste moins ambitieux mais plus intéressant, dont chacun des auteurs devrait traiter un des obstacles qui entravent la marche en avant de la sécurité privée selon un cahier des charges réduit : pas de langue de bois, pas de slogan, une approche originale, des propositions. Le contrat est rempli et je les en remercie. Le Manifeste que vous avez entre les mains traite de huit problèmes structurels répartis en quatre grandes questions, reliés par la conviction que les difficultés de notre temps imposent « d’investir la sécurité » aux points de vue intellectuel, humain, technique et financier.
Première question : la sécurité privée est-elle correctement pilotée, utilisée et régulée par la puissance publique ? Guillaume Farde nous expose les raisons historiques du dédain relatif de l’Etat à l’égard des opérateurs privés, et les chemins d’une reprise en main préalable à une coproduction public-privé véritable, au-delà des discours convenus. Dans un second temps je réponds à la mise en accusation du Conseil National des Activités Privées de Sécurité (CNAPS) par la Cour des comptes, et égrène des propositions pour une nouvelle régulation publique systémique par l’Etat stratège, l’Etat normateur, l’Etat régulateur et l’Etat acheteur.
Deuxième question : le corps économique et social français est-il innervé par une culture et une compréhension des menaces et solutions de sécurité suffisantes, qui lui permettent de mettre en œuvre, proposer et acheter des services adéquats et de qualité ? Jonathan Schifano constate que la nature et le niveau des menaces et leur traitement partiel par les organes spécialisés de l’Etat nécessitent d’imposer et déployer un outil de référence susceptible d’apporter une nouvelle « couche protectrice » : le règlement de sûreté. Guillaume Malzac revient sur la question épineuse du prix d’achat des prestations, et invite les entreprises de sécurité à « revoir leur copie » pour se convaincre de la qualité de leur offre avant d’en persuader leurs clients et prospects.
Troisième question : le niveau de formation et de compétence de l’ensemble des femmes et des hommes composant le versant privé de la sécurité globale est-il à la hauteur des responsabilités auxquelles ils doivent faire face, et les sociétés de sécurité ne se sont-elles pas enfermées dans un mode de production abandonné ailleurs depuis la révolution industrielle ? Nathalie Champion et Betina Lanchas répondent en formant le vœu que soit mise en œuvre une politique stratégique de la formation professionnelle de nature à susciter des vocations pérennes et véritables, étoffer et améliorer l’encadrement des agents de terrain, ou encore standardiser, améliorer et rationaliser les parcours diplômants. Jean-Yves Cazaud et Jean-Philippe Chassot considèrent quant à eux que la sortie de « l’impasse sociale » constatée et déplorée depuis des décennies proviendra d’une intégration raisonnée mais volontariste des nouvelles technologies, et de la complémentarité homme-machine.
Quatrième question : la France a-t-elle pris la mesure des changements doctrinaux, organisationnels et opérationnels à engager pour répondre à deux menaces « émergentes » au sens où leur potentiel dévastateur ne se serait pas encore pleinement révélé ? Alexandre Fousse estime que le traitement du risque cybernétique ne peut plus être laissé aux seuls techniciens et que l’omniprésence de l’informatique requiert une convergence des hommes, des modèles et des approches sûreté et cyber. Pascal Montero et Valentin Boex consacrent un dernier article à la réforme qui a récemment ouvert ou élargi la possibilité d’armer des agents de sécurité privée en réponse aux attentats terroristes, saluent cette révolution et plaident en faveur d’un encadrement strict.
A travers ce Manifeste le CJCS n’entend pas donner de leçons. Le Club n’ignore pas la difficulté des questions qu’il soulève ni l’engagement des organisations et des personnes qui ont cherché à les résoudre. Il se réjouit des avancées réalisées ces dernières années et jusque dans les tous derniers mois, qu’il s’agisse de la création du CNAPS et de la Délégation aux coopérations de sécurité, du renforcement des exigences de formation ou de la réforme de l’armement pour les agents, des prises de position courageuses et communes de représentants de la profession ou de la décision du Ministre de l’intérieur d’engager une réflexion réaliste et ambitieuse sur la coproduction de sécurité.
En avant !