Entretien de Vincent Luchez dans le dernier numéro de PSM
La revue Protection Sécurité Magazine a interrogé Vincent Luchez, dans sa livraison de novembre/décembre 2020, sur la notion de jurisprudence, et sur son importance sous-estimée y compris dans le domaine de la sécurité.
En
quoi cela concerne les acteurs de la sécurité privée ?
Une
première illustration nous est donnée par un arrêt de la Cour administrative
d’appel de Marseille en date du 18 septembre 2020, en matière d’exclusivité et
de sous-traitance. Rappelons qu’aux termes de l’article L 612-2 du Code de la
sécurité intérieure, une société de sécurité ne peut fournir comme prestation
que celle pour laquelle elle a été restrictivement agréée par le régulateur de
la sécurité privée (CNAPS). Cette règle a structuré le marché en séparant les
entreprises de gardiennage, d’enquêtes, ou de protection rapprochée. Dans un
arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon de 2018, il avait été jugé
qu’on pouvait néanmoins sous-traiter une activité de sécurité pour laquelle on
n’était pas agréé soi-même. Le juge marseillais vient d’adopter une position
inverse, et l’insécurité juridique qui en résulte ne pourra être levée que par
une décision du Conseil d’Etat.
La
jurisprudence ne fait pas qu’interpréter, elle peut aussi bloquer l’Etat…
C’est
une particularité des juridictions administratives que d’encadrer et au besoin
arrêter net l’action de l’Etat. En matière de sécurité et technologies, le
Conseil d’Etat – au sommet de l’ordre composé des tribunaux administratifs et
des cours administratives d’appel – l’a rappelé par une ordonnance du 18 mai
2020 dans le cadre d’un référé-liberté, procédure permettant de mettre un terme
dans un délai de 48 heures à une mesure de l’administration qui porte une
atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il a
estimé que le déploiement d’un dispositif de drones par la Préfecture de police
de Paris pour lutter contre la propagation du coronavirus était contraire à la
législation en matière de protection des données personnelles, car les
appareils étaient techniquement capables d’identifier les personnes survolées,
et que la procédure d’autorisation du dispositif n’avait pas été respectée.
Protéger oui, mais dans les règles…
Drones civils de surveillance : interdiction par la justice
Drones civils de surveillance : interdiction
par la justice
1.
La
Préfecture de police déploie un drone contre le coronavirus
A
partir du 18 mars 2020, la Préfecture de police de Paris a déployé un drone
civil dans le cadre du confinement, puis du déconfinement, afin de lutter
contre les rassemblements de personnes de nature à favoriser la propagation du
coronavirus.
Le
25 avril 2020, le journal en ligne Mediapart s’est ému de l’immixtion
des drones dans l’espace public de plusieurs communes, et notamment à Paris, et
du déficit d’informations quant à la conservation des images captées et à la
possibilité qu’elles fassent l’objet de recoupements automatisés avec d’autres fichiers de données personnelles mis en œuvre par les autorités publiques.
Dans
ce contexte, le service de la communication de la Préfecture de police a
diffusé deux documents destinés à éclairer les administrés sur la réalité et le
cadre juridique d’utilisation des drones. Dans un communiqué, il indiquait que
le dispositif de surveillance « a été déployé avec le concours de l’unité des moyens
aériens de la direction opérationnelle des services techniques et logistiques
(DOSTL). Ces drones sont pilotés par des fonctionnaires de police disposant des
certifications professionnelles adéquates et d’une expérience
conséquente. »
Le communiqué précisait également que les drones étaient
équipés d’un haut-parleur permettant d’informer le public sur les règles du
confinement, de mettre en garde les contrevenants à ces règles, mais également
de guider au sol les équipes de fonctionnaires de police. Un second document
mis à disposition par le Service de communication de la Préfecture de police de
Paris – un échange de cinq questions/réponses avec les journalistes de Mediapart
– détaillait plus avant les caractéristiques du dispositif : les images
captées par les drones étaient transmises sur la tablette de l’autorité
responsable ou dans un centre de commandement, et étaient détruites à la fin de
la mission.
2.
Mediapart pose une mauvaise question…
Mediapart y demandait d’abord si le dispositif avait fait l’objet d’un dépôt de dossier auprès
de la Commission départementale de vidéoprotection « comme pour les
caméras fixes » ou si la Préfecture de police se plaçait dans le cadre
dérogatoire des missions de sécurité civile.
Cette question était mal posée parce qu’elle confondait deux
législations qui n’ont pas le même objet. En effet, un premier corps de règles
issu du Code de la sécurité intérieure (articles L 251-1 et suivants) prévoit que l’installation d’un système de vidéoprotection doit faire l’objet
d’une autorisation du représentant de l’Etat dans le département après avis de
la Commission départementale de vidéoprotection. S’il existe bien des
hypothèses dérogatoires dans lesquelles l’urgence dispense de saisir cette
commission, elles ne concernent pas la sécurité civile, mais les risques de
sécurité liés à une action terroriste (article L 223-4 du Code de la sécurité
intérieure) ou à une manifestation ou un rassemblement de grande ampleur
(article L 252-6 du Code de la sécurité intérieure).
La dérogation à laquelle Mediapart fait référence
concerne quant à elle deux arrêtés du 17 décembre 2015 relatifs, respectivement
« à la conception des aéronefs civils qui circulent sans personne à
bord, aux conditions de leur emploi et aux capacités requises des personnes qui
les utilisent », et « à l'utilisation de l'espace aérien par
les aéronefs qui circulent sans personne à bord ». Cette législation
régit les caractéristiques techniques des drones, leur poids, les conditions de
survol de certaines zones, ou encore la distance autorisée entre le pilote et
la machine, auxquelles il est permis de déroger « dans le cadre de
missions de secours, de sauvetage, de douane, de police ou de sécurité civile,
peuvent évoluer en dérogation aux dispositions du présent arrêté lorsque les
circonstances de la mission et les exigences de l'ordre et de la sécurité
publics le justifient ».
Les journalistes confondaient donc deux sujets distincts, puisque
la réglementation de la vidéoprotection concerne essentiellement la protection
des données personnelles des personnes susceptibles d’être filmées, tandis que
le cadre normatif propre aux drones a trait au risque d’atteintes matérielles
et physiques susceptibles d’être causées par les appareils volants.
3.
…
et l’administration apporte une mauvaise réponse
Dans ses réponses, la Préfecture de police dévoilait sa
position quant au cadre légal applicable au dispositif qu’elle avait déployé.
Elle affirmait que le Code de la sécurité intérieure ne lui était pas
applicable dans la mesure où il concernait les caméras fixes, ni la loi du 6
janvier 1978 dite « Informatique et
libertés » qu’elle ne citait pas, mais simplement l’article 9 du
Code civil et l’article 226-1 du Code pénal qui protègent en termes très
généraux la vie privée, étant donné que les caméras qui équipaient ses drones n’utilisaient
qu’un grand angle et « ne permettent donc pas l’identification d’un
individu » sauf dans les cas d’enquêtes de police ou d’instruction
judiciaire régis spécifiquement par le Code de procédure pénale..
En résumé, pour l’administration les caméras transportées par
les drones ne permettaient pas de capter des images de personnes identifiables,
elles ne traitaient donc pas de données personnelles au sens juridique de ces
termes, aussi le dispositif n’était pas soumis à une législation et à une
procédure protectrice de leurs données personnelles.
4.
La
justice administrative interdit le dispositif
Deux
associations – La Quadrature du net et La Ligue des droits de
l’homme – ont alors saisi le Tribunal administratif de Paris d’une requête
en « référé-liberté » à l’encontre de cette utilisation des drones
civils, en vue d’obtenir sa suspension immédiate. Il faut rappeler que le
référé-liberté permet, en vertu de l’article L 521-2 du Code de justice
administrative, de demander au juge administratif en cas d’extrême urgence, de
prendre dans un délai de quarante-huit heures toute mesure nécessaire à la
sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave
et manifestement illégale par un organisme public ou parapublic.
Par
une ordonnance du 5 mai 2020, le juge des référés du Tribunal administratif de
Paris a rejeté l’argumentation des associations en conduisant un raisonnement classique
en deux temps.
Dans
un premier temps, il a cité trois textes de loi applicables aux traitements de
données personnelles. Il s’agissait de la directive du 27 avril 2016 relative « à
la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à
caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et
de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière
ou d'exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données »,
de la loi « Informatique
et libertés », et enfin du règlement
général sur la protection des données du 27 avril 2016 dit RGPD. De ces
dispositions, il résultait notamment que relevait de la catégorie juridique des
données personnelles toute information relative à une « personne
physique identifiée ou identifiable », qu’une personne était
identifiable par référence à un identifiant ou à un élément spécifique et
notamment physique, qu’une opération de « traitement de données » recouvrait
une large gammes de procédés, et qu’un tel traitement en matière pénale
nécessitait une autorisation du Ministre compétent pris après avis de la
Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Dans
un second temps, le juge a pris appui sur les affirmations de la Préfecture de
police selon lesquelles les drones avaient été utilisés dans des conditions ne
permettant pas d’identification de personnes physiques – même si cette
opération était techniquement à leur portée – pour en déduire qu’aucune donnée
personnelle de personnes identifiables physiquement n’avait fait l’objet d’un
traitement par les caméras transportées, de sorte que les textes relatifs à la
protection des données personnelles n’étaient ni applicables ni, a fortiori,
enfreints par le dispositif et par l’absence d’arrêté ministériel l’autorisant.
L’ordonnance
du juge parisien a fait l’objet d’un appel devant le juge des référés du
Conseil d’Etat, et a été annulée par sa décision du 18 mai 2020. Il a suffi d’une simple nuance de
raisonnement pour censurer la position du Tribunal administratif et de la Préfecture de police.
En
effet, les deux juridictions ont tiré des conclusions opposées de ce que les
caméras embarquées pouvaient techniquement identifier des personnes physiques
mais ne le faisaient pas dans le cadre du dispositif objet du procès. Pour le
Tribunal de Paris, cette circonstance excluait que soit invoquée la notion de
personne identifiable et donc que des données personnelles soient en jeu. Pour
le Conseil d’Etat au contraire, le fait qu’existe la possibilité technique d’une
captation et transmission d’image assez précise pour permettre une identification
rendait applicable la législation sur les données personnelles, et sanctionnable
le déploiement d’un dispositif qui ne se fondait par sur un arrêté ou un décret
pris après avis de la CNIL, prévoyant et respectant toutes les garanties requises
en la matière.
Dès
lors, la juridiction suprême a décidé qu’un tel dispositif ne pouvait exister
qu’à deux conditions alternatives, soit en privant les drones de la capacité technique
de filmer les personnes avec une précision les rendant identifiables, soit en
les conservant tels quels sous réserve que le pouvoir exécutif ait pris une
réglementation autorisant et encadrant ledit dispositif. Aussi a-t-il été interdit
par cette décision de justice, qui a ordonné à l’Etat d’y mettre un terme.
Le
même jour, la CNIL a diffusé un communiqué de presse dans lequel elle indiquait
avoir déclenché une série de contrôles relatifs à l’utilisation de drones
civils de surveillance dans plusieurs communes et qu’elle attendait les
réponses du Ministère de l’intérieur pour les mener à terme et prendre une
position.
Le site du cabinet mis à l'honneur par PSM
La revue "Protection sécurité magazine" (PSM) dédiée aux questions et aux technologies de sécurité, a mis à l'honneur le site du cabinet sur sa page du réseau Linkedin, en évoquant son "Espace CNAPS" et les ressources qu'il met à disposition des internautes confrontés à des difficultés pour entrer ou se maintenir dans le secteur de la sécurité privée.
Rapport d'activité du CNAPS pour l'année 2019
1.
La mission de police administrative
Dans un premier temps le rapport rappelle que
le CNAPS instruit les demandes portant sur huit types différents de
titres : l’autorisation d’entrée en formation, l’autorisation de stage, la
carte professionnelle des agents de sécurité, l’agrément permettant de procéder
aux palpations de sécurité, l’agrément des dirigeants de sociétés de sécurité
(y compris les associés), l’autorisation d’exercice des entreprises de sécurité
elles-mêmes, enfin l’autorisation de fonctionnement des services internes de
sécurité (SIS) des entreprises non prestataires.
Le rapport rappelle également les principaux
critères d’éligibilité à la délivrance des autorisations sollicitées pour des
personnes physiques, au premier titre desquels figurent l’aptitude
professionnelle sanctionnées par une preuve de formation, et la moralité
appréciée à l’aune des antécédents judiciaires enregistrés au casier judiciaire
et au fichier de Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) pour l’essentiel.
Le document révèle que le nombre de décisions
prises par l’établissement a augmenté de 23% par rapport à 2018 pour atteindre
141 945. Le nombre de refus a lui chuté à 4% de ce total. Il révèle
également que la moralité des détenteurs de cartes a été contrôlée par une
opération de « criblage » qui se concentre sur la troisième année de
validité, ce faisant il a réagi aux critiques dirigées contre la fréquence
insuffisante de la vérification de la moralité, qui en principe n’intervient
que tous les cinq ans dans le cadre du renouvellement du titre.
Enfin il évoque les délais de traitement des
demandes, question très sensible compte tenu des pratiques insatisfaisantes
constatées à la mise en place du CNAPS. Le délai moyen de traitement des dossiers
où n’apparaît aucun problème de moralité s’établit à cinq jours ouvrés
seulement.
2.
La mission disciplinaire
Le rapport d’activité commence par indiquer
la finalité et les grandes étapes d’une procédure de contrôle susceptible de se
prolonger par une procédure disciplinaire et l’adoption de sanctions à
l’encontre d’un acteur de la sécurité privée, agent ou entreprise.
Il affirme que l’administration se donne pour
objectif de faciliter le travail des Commissions locales d’agrément et de
contrôle compétentes pour prononcer des sanctions, en constituant des dossiers
juridiquement et factuellement robustes. Une plus grande attention est
également portée aux délais de traitement des contrôles, réduits à 73 jours en
moyenne. Ce chiffre moyen cache en réalité une grande disparité, en fonction de
l’objet et des caractéristiques du contrôle.
En ce qui concerne le ciblage des entreprises
contrôlées, un peu plus de la moitié des procédures ont visé des sociétés
comptant moins de vingt salariés. Seulement un tiers des entreprises contrôlées
ont fait l’objet d’une procédure disciplinaire.
3.
Les recours contre les décisions du CNAPS
Le rapport d’activité rappelle que chaque
décision d’une Commission locale d’agrément et de contrôle peut être contestée
devant la Commission nationale d’agrément et de contrôle (CNAC), et que les
décisions de cette dernière peuvent quant à elles être soumises aux tribunaux
administratifs.
Il indique que la CNAC a examiné sur le fond
790 recours et a confirmé 69% des décisions qui lui avaient été soumises. 386
requêtes ont été adressées aux juridictions administratives, lesquelles ont
confirmé la légalité de 76% des décisions déférées.
Membre de jury d'examen : sanction par le CNAPS impossible
Le membre d’un jury d’examen qui commettrait une infraction pénale à l’occasion des tâches conduites par ce jury peut-il être sanctionné par le CNAPS dans le cadre d’une procédure disciplinaire ?
Non ! C’est la réponse de la Commission nationale d’agrément et de contrôle à la question soulevée par une affaire, après avoir été saisie par un recours administratif préalable obligatoire.
En l’espèce, des contrôleurs du Conseil national des activités privées de sécurité avaient mené des opérations de vérification dans un centre de formation aux activités privées de sécurité, et constaté divers manquements imputables pour partie au centre et pour partie à un membre du jury. Aux termes des procédures de contrôle et disciplinaire, ce dernier avait été frappé par une interdiction d’exercer son métier d’agent de sécurité pendant plusieurs mois, par une Commission locale d’agrément et de contrôle.
Or, indépendamment de la réalité du manquement qui lui était reproché, il est apparu que l’administration n’avait pas le pouvoir de sanctionner l’individu dans le cadre de sa fonction de membre de jury, pour la simple et bonne raison que les textes qui régissent le fonctionnement du CNAPS – le Code de la sécurité intérieure – ne le permettent pas. Démonstration.
L’interdiction d’exercer décidée par l’administration reposait sur deux textes de loi, les articles R 631-2 et 4 du Code de la sécurité intérieure :
« Sanctions.
Tout manquement aux devoirs définis par le présent code de déontologie expose son auteur aux sanctions disciplinaires prévues à l'article L. 634-4, sans préjudice des mesures administratives et des sanctions pénales prévues par les lois et règlements. »
« Respect des lois.
Dans le cadre de leurs fonctions, les acteurs de la sécurité privée respectent strictement la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la Constitution et les principes constitutionnels, l'ensemble des lois et règlements en vigueur, notamment le code de la route et la législation professionnelle et sociale qui leur est applicable. »
La notion « [d’] acteurs de la sécurité privée » est définie à l’article R 631-1 du Code de la sécurité intérieure :
« Champ d'application.
Les dispositions de la présente section constituent le code de déontologie des personnes physiques ou morales exerçant des activités privées de sécurité.
Ce code s'applique à toutes les personnes morales dont les activités sont régies par le présent livre ainsi qu'aux personnes physiques dont les activités sont régies par les mêmes dispositions, qu'elles agissent en qualité de dirigeants de société, y compris d'associés ou de gérants, de personnes exerçant à titre individuel ou libéral, de salariés et stagiaires d'une entreprise de sécurité ou de recherches privées ou appartenant au service interne d'une entreprise. Ces personnes sont qualifiées d'acteurs de la sécurité privée. »
A la lecture de ces textes, on comprend que le CNAPS n’est fondé à sanctionner les manquements au « code de déontologie » qu’à l’égard des « acteurs de la sécurité privée » – c’est-à-dire les opérateurs de surveillance, gardiennage, transport de fonds, protection physique des personnes, protection des navires, enquêteurs privés et prestataires de formation à l’exercice de ces activités – et s’agissant du « respect des lois » que lorsqu’un manquement aura été constaté « dans le cadre de leurs fonctions ». Or tel n’était pas le cas en l’espèce, dès lors que l’individu en question avait agi dans le cadre de la participation bénévole à un jury d’examen.
Aussi, d’une part, il ne se trouvait pas dans la situation visée par l’article R 631-1 des « personnes physiques dont les activités sont régies par les mêmes dispositions, qu'elles agissent en qualité de dirigeants de société, y compris d'associés ou de gérants, de personnes exerçant à titre individuel ou libéral, de salariés et stagiaires d'une entreprise de sécurité ou de recherches privées ou appartenant au service interne d'une entreprise. »
Aussi bien, d’autre part, il n’agissait pas non plus « dans le cadre de [ses] fonctions » d’agent de sécurité limitativement désignées par sa carte professionnelle, ni en tant que « prestataire de formation » soumis au contrôle du CNAPS en vertu de l’article L 625-1 du Code de la sécurité intérieure :
« Est soumise au présent titre, lorsqu'elle est délivrée par des exploitants individuels et des personnes morales de droit privé, établis sur le territoire français, et n'ayant pas conclu un contrat d'association avec l'Etat :
1° La formation permettant de justifier de l'aptitude professionnelle à exercer les activités mentionnées aux 1° à 4° de l'article L. 611-1 et à l'article L. 621-1 ;
2° La formation permettant le renouvellement des cartes professionnelles mentionnées aux articles L. 612-20-1 et L. 622-19-1.
Les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article sont dénommées " prestataires de formation ". »
La réglementation distingue les membres de jurys d’examen constitués en vue de l’évaluation de candidats à l’obtention d’un diplôme de professionnel de la sécurité, et les « prestataires de formation » qui dispensent un enseignement théorique et pratique à cette fin sous la forme « [d’] exploitants individuels » ou de « personnes morales de droit privé ». L’arrêté du 1er juillet 2016 relatif à la certification des organismes de formation aux activités privées de sécurité et aux activités de recherches privées dispose en effet à l’article 5.1 de son Annexe II :
« Le jury est composé, a minima, de deux personnes représentant les activités privées de sécurité concernées. […] Les membres du jury ne font pas partie de l’organisme de formation. Ils justifient, a minima, de deux années d’exercice professionnel dans le domaine d’activité concerné. »
Au total, l’administration ne pouvait donc pas légalement sanctionner l’individu interdit d’exercer pour des faits commis en qualité de membre bénévole d’un jury, fonction extérieure aux activités et personnes relevant de sa compétence disciplinaire.
Sociétés de sécurité privée : que faire quand le CNAPS interdit d'exercer ?
Pour les dirigeants de société de sécurité, la pire sanction susceptible d'être prononcée par le CNAPS (Conseil national des activités privées de sécurité) au travers d'une Commission locale d'agrément et de contrôle est l'interdiction temporaire d'exercer, qui met immédiatement l'entreprise à l'arrêt pour une durée de quelques semaines, de quelques mois, ou de plusieurs années.
Dans un article donné au site juridique Village de la justice et lu plus de 12 000 fois, Maître Vincent Luchez fournissait les clés d'une réaction procédurale efficace. On trouvera ci-après le lien vers son vademecum.
Article de Vincent Luchez sur la régulation de la sécurité privée
Maître Vincent Luchez a dirigé la rédaction du Manifeste publié en 2018 par le CJCS. On trouvera ci-après sa contribution consacrée à la régulation de la sécurité privée.
REPONSE A LA COUR DES COMPTES : POUR UNE NOUVELLE REGULATION PUBLIQUE
Rapport de la Cour des comptes : le compte n’y est pas
La Cour des comptes a consacré une partie de son rapport annuel de 2018 à la régulation publique du secteur de la sécurité privée, et dressé un bilan de l’action de l’établissement public administratif qui en a la charge depuis 2012 : le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). Les sages de la rue Cambon y constatent pour s’en inquiéter que le rôle croissant accordé aux entreprises de sécurité privée n’a pas pour corollaire la disparition des faiblesses structurelles affectant ce marché, soit en particulier l’atomisation de la part de l’offre non constituée par les majors, la qualité « aléatoire » des prestations, et la forte proportion d’agents aux antécédents judiciaires incompatibles avec l’exercice de fonctions « associées aux missions de l'État en matière de sécurité publique » selon la formule adoptée par le Conseil constitutionnel dans une décision de 2015. La Cour des comptes impute en partie la responsabilité de cet échec au Conseil, lequel aurait failli par un mélange d’incompétence, de laxisme et de proximité suspecte avec les acteurs économiques qu’il est chargé de surveiller et sanctionner.
Hélas, le compte n’y est pas. S’il faut saluer la curiosité de la Cour des comptes et l’intérêt documentaire de son rapport, on doit aussi et surtout mettre en exergue ses omissions et ses insuffisances, car seul un diagnostic fin des maux dont souffre la sécurité privée permettra aux pouvoirs publics d’y apporter les remèdes adéquats. La Cour pèche par excès de juridisme et d’attention à des cas isolés, quand le problème qu’elle soulève nécessite un examen et un traitement systémiques. Ajoutons que sans lucidité et volonté politiques pour prendre le relais de l’analyse, nous aurons vainement noirci ces quelques pages. Nul doute que la Cour des comptes sera sensible à ce fatal écueil.
Réflexions et propositions sur la mission de police administrative du CNAPS
Le législateur a confié deux missions capitales au CNAPS : d’une part filtrer et réserver l’accès au marché de la sécurité aux seules personnes dont elle aura vérifié la moralité et les compétences (mission de police administrative), et d’autre part contrôler, sanctionner et le cas échéant expulser de ce marché les opérateurs dont elle aura observé les conditions d’exercice contraires aux prescriptions légales et réglementaires (mission disciplinaire). Sur le chapitre de la police administrative et singulièrement des conditions de délivrance des cartes professionnelles autorisant les agents à travailler, la Cour reproche au CNAPS son zèle à traiter rapidement les demandes, une excessive indulgence à l’endroit de candidats au passé non immaculé, l’établissement d’une doctrine interne laxiste, et l’absence de contrôle des titulaires de titres en cours de validité. Ces critiques souvent injustes trahissent une appréhension de la question « à mauvaise échelle » et au surplus en contradiction avec les dernières avancées de l’état de droit qui, rappelons-le, bénéficient même aux agents de sécurité.
L’article L 612-20 du Code de la sécurité intérieure élève un barrage que seuls franchissent ceux dont le passé judiciaire sera jugé compatible avec les fonctions d’agent. Cette disposition un peu bavarde et confuse est rédigée de telle sorte qu’elle accorde un pouvoir d’appréciation important aux membres des Commissions locales d’agrément et de contrôle chargées de les appliquer. Le CNAPS n’est pas l’auteur de la loi qu’il applique, et il l’applique plutôt bien. L’administration n’est pas plus l’auteur d’une doctrine interne qui ajouterait à la loi. En fait de doctrine, c’est la jurisprudence des juridictions administratives, qui interprète, précise et complète les obscurités du Code, et doit orienter les prises de décision des Commissions. Cette jurisprudence est ensuite synthétisée et diffusée par le service des affaires juridiques du CNAPS en son sein, afin que l’action de tous ses organes soit conforme à la règle de droit. On peut estimer que la jurisprudence se forme trop lentement, que les juges administratifs soient eux-mêmes trop indulgents compte tenu de la sensibilité des missions confiées aux agents de sécurité, ou que les décisions des Commissions restent trop hétérogènes, mais la responsabilité dernière en revient au Parlement, qui interdira l’accès de la profession, s’il l’estime opportun, à toute personne condamnée ou mise en cause dans une procédure pénale.
Le rapport suggère de durcir et simplifier le dispositif en refusant systématiquement la délivrance d’une carte professionnelle aux pétitionnaires dont le casier judiciaire B2 comporte une inscription. Ce faisant, ses auteurs oublient que le juge pénal accorde de manière assez libérale l’effacement du casier voire la non-inscription de la condamnation le jour même où elle est prononcée, comme ils oublient le mécanisme de réhabilitation automatique. Les agents du CNAPS utilisent donc heureusement un deuxième outil au spectre infiniment plus large : le fichier TAJ (Traitement d’Antécédents Judiciaires), qui contient des informations sur les procédures pénales impliquant près de six millions de Français, conservées en principe pendant vingt ans. Néanmoins, faute de toujours être assez précis ou exact, le contenu du TAJ impose des vérifications supplémentaires, et des explications demandées au pétitionnaire. Contrairement à ce qu’affirme la Cour, cette dernière étape continue d’allonger dans des proportions parfois choquantes le délai de traitement des demandes, et on doit se féliciter que le CNAPS ait partiellement fait sienne l’idée qu’il était au service des usagers après s’être vu reprocher une certaine indifférence à la situation concrètes des hommes et des entreprises en attente d’une autorisation d’exercer. Ajoutons que depuis 2014, la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil d’Etat, le législateur et dernièrement le Conseil constitutionnel ont œuvré de concert pour desserrer l’étau du fichier TAJ et élargir les possibilités « d’en sortir ». La Cour des comptes propose d’aller à l’encontre de cette évolution qu’elle ignore.
Le temps est venu de formuler, ou reprendre à la Cour, quelques critiques et propositions susceptibles d’accélérer la moralisation de la profession. Premièrement, l’image et l’acceptation du CNAPS pâtissent des cas – certes rares et isolés – de délivrance de titres à des individus condamnés pour des faits graves ou nombreux, ce dont nous avons été témoin. Pas un agent ou dirigeant rencontré qui ne « sache » ou imagine que des passe-droits sont accordés en échange de services, d’informations ou d’argent. L’administration doit être extrêmement attentive à ces « signaux faibles » qui obèrent l’acceptation et l’efficacité de son action. Deuxièmement, la Cour des comptes a raison d’encourager l’approfondissement de la formation continue des membres du CNAPS et de leur culture déontologique. A titre d’illustration, certains de mes clients se sont fait traiter en séance de « grand frère », dissuader de se faire assister par un avocat « pour aller plus vite », ou de former un recours contre une décision de rejet de leur demande. Troisièmement, le législateur et le gouvernement doivent mener une réflexion sur les critères de moralité des agents et sur le dispositif qui sert à sa vérification. S’ils l’estiment nécessaire, il faudra simplifier l’article L 612-20 du Code de la sécurité intérieure, prévoir des types d’infraction incompatibles par nature avec la délivrance d’une autorisation, quelle que soit l’ancienneté de la commission de cette infraction, et placer le CNAPS en situation de « compétence liée ». Quatrièmement, la culture de service à l’usager, loin d’être exacerbée, doit encore être améliorée sur le terrain de la communication et de la performance. En effet, les enquêtes administratives peuvent encore durer six à douze mois sinon plus en Ile-de-France, et ruiner un projet professionnel sans que le pétitionnaire soit sérieusement et suffisamment tenu informé. A l’heure des macro-données et des premières promesses de l’intelligence artificielle, nous formons le vœu que la communication entre les services du CNAPS, de la police, de la gendarmerie et de la justice gagnent en vitesse et qualité, et permettent d’écourter les procédures. Cinquièmement et enfin, cette communication devra permettre au CNAPS d’être avisé en temps réel de la mise en cause ou de la condamnation d’un agent titulaire d’une carte professionnelle en cours de validité.
Réflexions et propositions sur la mission disciplinaire du CNAPS
Le rapport de la Cour des comptes est moins critique au sujet de l’action disciplinaire du CNAPS. Il salue l’augmentation du nombre de procédures mais reproche au Conseil d’avoir tardé à vérifier l’application de ses interdictions temporaires d’exercer (ITE), de se concentrer sur les seules entreprises, et regrette que les acheteurs de prestations sécuritaires ne soient pas soumis à sa compétence.
En première analyse, on peut difficilement reprocher au CNAPS de veiller à la bonne application des ITE prononcées par les Commissions locales d’agrément et de contrôle. Pourtant, nous estimons à rebours de la Cour, que c’est l’excessive sévérité du Conseil qui a abouti à la situation critiquée. Rappelons qu’en vertu de l’article L 634-4 du Code de la sécurité intérieure, les Commissions peuvent prononcer des avertissements, des blâmes, des ITE plafonnées à cinq ans, et des pénalités financières d’un montant inférieur ou égal à 150 000 euros. Il n’est donc pas rare que le CNAPS adopte à l’encontre d’un dirigeant et de sa société des interdictions d’exercer de quelques mois seulement, alors qu’une très lourde pénalité financière suffirait à provoquer la mise en conformité de l’opérateur. En vertu de l’applicabilité immédiate des délibérations des Commissions à la date de leur notification, et du caractère non suspensif des recours dirigés contre elles – sauf exercice d’un référé – du jour au lendemain l’entreprise quitte tous les sites de ses clients, perd leur confiance en les plongeant dans l’embarras, se ruine pour conserver ou licencier ses salariés. Compte tenu de l’intensité de la concurrence et de la faiblesse des trésoreries, la courte sanction devient une mise à mort économique pour la société, et une mise à mort sociale pour le dirigeant qui a consacré tout ou partie de son existence à l’animer pour en vivre parfois modestement. Résultat, la brutalité de la sanction et l’incompréhension qu’elle suscite engendrent une véritable ingénierie du contournement des ITE dont un prospère marché des « gérants de paille ».
Comment justifier une telle sévérité à l’endroit d’entreprises longtemps maintenues dans l’ignorance du droit par la tutelle introuvable des préfectures et convoquées une première fois par le CNAPS ? A la naissance du Conseil, on a lu et entendu que pour sauver le malade, il faudrait peut-être l’amputer de quelques milliers de membres gagnés par la gangrène. Pour être draconien, l’objectif ne nous semble pas illégitime, et l’on peut considérer que la sensibilité de ce secteur d’activités justifie que l’Etat ait seulement à surveiller un marché composé de quelques centaines de sociétés dont la taille critique garantirait une visibilité et une solidité financière et organisationnelle indispensables. Le bourreau et le commanditaire pourraient néanmoins avoir la politesse de prévenir les condamnés. En d’autres termes : soit la loi ne change pas et les Commissions devraient réserver le prononcé d’ITE aux entreprises dont les manquements justifient une expulsion définitive du marché, soit la loi modifiée clarifie les intentions des pouvoirs publics et instaure un numerus clausus, ou tous autres dispositifs a priori et de nature à évincer les opérateurs les plus fragiles.
La Cour des comptes peut reprocher à bon droit au Conseil de ne sanctionner que les entreprises et leurs dirigeants et d’épargner les agents, mais la poursuite d’une telle ambition nous semble incompatible avec l’organisation et les moyens dont il dispose à ce jour ; elle saturerait immédiatement tant les tant les agents des Délégations territoriales que les Commissions, lesquels devraient convoquer et entendre chaque agent et le cas échéant leurs défenseurs. Enfin, la responsabilisation des donneurs d’ordre, évoquée allusivement mais pertinemment dans le rapport, nous semble une des orientations les plus importantes et déterminantes pour l’avenir.
Au titre des propositions, nous souhaitons en premier lieu que les moyens alloués au CNAPS soient portés au niveau des objectifs – et des responsabilités – qui lui ont été assignés. Le nombre des contrôleurs et la capacité de traitement des Commissions doivent permettre un contrôle effectif, permanent et dissuasif des conditions d’exercice des professionnels de la sécurité privée. En deuxième lieu, le législateur doit imposer des obligations et étendre la compétence du Conseil à l’ensemble des personnes morales – à commencer par les administrations – qui achètent et consomment les prestations des entreprises de sécurité privée, pour les contraindre à vérifier que leurs prestataires sont habilités à exercer et les dissuader de leur imposer des prix trop bas. En troisième lieu, les procédures de contrôle du CNAPS devraient systématiser l’examen des prix pratiqués, sur le fondement de l’article R 631-21 du Code de la sécurité intérieure, et affiner la notion et les modalités d’établissement de la preuve de « prix de prestations anormalement bas ne permettant pas de répondre aux obligations légales, notamment sociales ».
Pour une nouvelle régulation publique
Le rapport de la Cour des comptes évoque à demi-mots la disparition du CNAPS comme une des solutions aux maux qu’il a observés. Son contenu et ses conclusions, en dépit de quelques propositions intéressantes, marquent un recul par rapport à l’ambition manifestée par les pouvoirs publics au début des années 2010. A cette époque pas si éloignée, la nouvelle régulation publique systémique de la sécurité privée que nous appelons de nos vœux semblait poindre : désignation d’un Délégué interministériel à la sécurité et mise au point des conventions de coopération public-privé (Etat stratège), concertation en vue d’une modification de la loi cadre de 1983 (Etat normateur), création d’un établissement public dédié (Etat régulateur), adoption et promotion d’une Charte de bonnes pratiques d'achats de prestations de sécurité privée (Etat acheteur). Ces quatre chantiers n’ont pas été abandonnés et de nombreuses avancées doivent être saluées. Les difficultés n’ayant pas disparu, il faut maintenant aller plus loin, sous l’impulsion d’une Délégation aux coopérations de sécurité (DCS) renforcée et aux missions clarifiées. Nous pensons comme la Cour que le CNAPS souffre d’une certaine ambiguïté fonctionnelle et qu’il doit se recentrer sur sa mission de régulateur stricto sensu, et pas être un parlement de la profession, même si sa connaissance concrète de l’écosystème doit être mise à profit pour l’accomplissement de ses missions. La DCS doit nourrir la réflexion du gouvernement et du législateur, être le point d’entrée et l’animateur du dialogue avec le ministère, les forces de l’ordre, les entreprises et les donneurs d’ordre, piloter l’élaboration et la mise en œuvre en dix ans d’une doctrine d’emploi de la sécurité privée annoncée par le Ministre de l’intérieur au mois de février 2018. Intelligence et volonté, voilà tout ce dont la sécurité privée a besoin.
Introduction au Manifeste du CJCS par Vincent Luchez
Maître Vincent Luchez a dirigé la préparation du Manifeste du CJCS publié en 2018. On trouvera ci-après son introduction aux huit articles qui le composent.
INVESTIR LA SECURITE
Lorsque la direction du CJCS a décidé de préparer un Livre blanc sur la sécurité privée et de m’en confier la coordination, elle souhaitait avant tout servir de porte-voix à la jeunesse de ce secteur d’activités, et esquisser des solutions pour son avenir. L’idée m’est alors venue de replonger dans un rapport dirigé par le Professeur Yves Roucaute, publié en 2008 par l’Institut National des Hautes Etudes de Sécurité : « Le marché de la sécurité privée en France ». Dix ans après, une bonne partie des maux et préconisations identifiés et formulées dans cette étude restaient d’actualité, hélas. J’ai alors proposé de transformer le projet de Livre blanc, à l’exhaustivité inatteignable et inutile, en un Manifeste moins ambitieux mais plus intéressant, dont chacun des auteurs devrait traiter un des obstacles qui entravent la marche en avant de la sécurité privée selon un cahier des charges réduit : pas de langue de bois, pas de slogan, une approche originale, des propositions. Le contrat est rempli et je les en remercie. Le Manifeste que vous avez entre les mains traite de huit problèmes structurels répartis en quatre grandes questions, reliés par la conviction que les difficultés de notre temps imposent « d’investir la sécurité » aux points de vue intellectuel, humain, technique et financier.
Première question : la sécurité privée est-elle correctement pilotée, utilisée et régulée par la puissance publique ? Guillaume Farde nous expose les raisons historiques du dédain relatif de l’Etat à l’égard des opérateurs privés, et les chemins d’une reprise en main préalable à une coproduction public-privé véritable, au-delà des discours convenus. Dans un second temps je réponds à la mise en accusation du Conseil National des Activités Privées de Sécurité (CNAPS) par la Cour des comptes, et égrène des propositions pour une nouvelle régulation publique systémique par l’Etat stratège, l’Etat normateur, l’Etat régulateur et l’Etat acheteur.
Deuxième question : le corps économique et social français est-il innervé par une culture et une compréhension des menaces et solutions de sécurité suffisantes, qui lui permettent de mettre en œuvre, proposer et acheter des services adéquats et de qualité ? Jonathan Schifano constate que la nature et le niveau des menaces et leur traitement partiel par les organes spécialisés de l’Etat nécessitent d’imposer et déployer un outil de référence susceptible d’apporter une nouvelle « couche protectrice » : le règlement de sûreté. Guillaume Malzac revient sur la question épineuse du prix d’achat des prestations, et invite les entreprises de sécurité à « revoir leur copie » pour se convaincre de la qualité de leur offre avant d’en persuader leurs clients et prospects.
Troisième question : le niveau de formation et de compétence de l’ensemble des femmes et des hommes composant le versant privé de la sécurité globale est-il à la hauteur des responsabilités auxquelles ils doivent faire face, et les sociétés de sécurité ne se sont-elles pas enfermées dans un mode de production abandonné ailleurs depuis la révolution industrielle ? Nathalie Champion et Betina Lanchas répondent en formant le vœu que soit mise en œuvre une politique stratégique de la formation professionnelle de nature à susciter des vocations pérennes et véritables, étoffer et améliorer l’encadrement des agents de terrain, ou encore standardiser, améliorer et rationaliser les parcours diplômants. Jean-Yves Cazaud et Jean-Philippe Chassot considèrent quant à eux que la sortie de « l’impasse sociale » constatée et déplorée depuis des décennies proviendra d’une intégration raisonnée mais volontariste des nouvelles technologies, et de la complémentarité homme-machine.
Quatrième question : la France a-t-elle pris la mesure des changements doctrinaux, organisationnels et opérationnels à engager pour répondre à deux menaces « émergentes » au sens où leur potentiel dévastateur ne se serait pas encore pleinement révélé ? Alexandre Fousse estime que le traitement du risque cybernétique ne peut plus être laissé aux seuls techniciens et que l’omniprésence de l’informatique requiert une convergence des hommes, des modèles et des approches sûreté et cyber. Pascal Montero et Valentin Boex consacrent un dernier article à la réforme qui a récemment ouvert ou élargi la possibilité d’armer des agents de sécurité privée en réponse aux attentats terroristes, saluent cette révolution et plaident en faveur d’un encadrement strict.
A travers ce Manifeste le CJCS n’entend pas donner de leçons. Le Club n’ignore pas la difficulté des questions qu’il soulève ni l’engagement des organisations et des personnes qui ont cherché à les résoudre. Il se réjouit des avancées réalisées ces dernières années et jusque dans les tous derniers mois, qu’il s’agisse de la création du CNAPS et de la Délégation aux coopérations de sécurité, du renforcement des exigences de formation ou de la réforme de l’armement pour les agents, des prises de position courageuses et communes de représentants de la profession ou de la décision du Ministre de l’intérieur d’engager une réflexion réaliste et ambitieuse sur la coproduction de sécurité.
En avant !
Article de La Lettre A : précisions sur le fonctionnement du CNAPS
Dans son édition du 13 février 2020, la lettre d'information "La Lettre A" titre "Le CNAPS épingle la sécurité de la Ryder Cup supervisée par Thomas Collomb", à propos d'une procédure disciplinaire conduite par le Conseil national des activités privées de sécurité.
L'article évoque en effet la sanction prononcée par une Commission locale d'agrément et de contrôle d'Ile-de-France à l'encontre de la société de sécurité CPS SECURITE, à raison des manquements au Code de la sécurité intérieure qui auraient été relevés par les contrôleurs de cette administration lors d'une compétition internationale, la Ryder Cup, qui s'était déroulée au mois de septembre 2018.
Hélas, le papier de « La Lettre A » manque de précision sur quelques-uns des aspects du travail dont est chargé le CNAPS, sur lesquels notre billet se propose de revenir.
L'article indique que le Directeur-général va "contester en appel" la sanction prononcée par l'administration. A la lettre, il ne s'agit pas d'un appel, puisque la Commission qui a pris une décision n'est ni une juridiction ni un ordre professionnel statuant comme une juridiction, mais un des organes d'un établissement public administratif. La procédure qui va être mise en œuvre est en réalité un "recours administratif préalable obligatoire" prévu aux article L 633 et R 633-9 du Code de la sécurité intérieure, qui sera adressé à la Commission nationale d'agrément et de contrôle (CNAC) du CNAPS. Le recours a ceci "d'obligatoire" que l'on ne peut précisément pas se tourner vers le juge administratif - sauf en référé - sans être passé auparavant par cette Commission nationale. A ce stade, l'entreprise ne va donc pas former un appel, mais prolonger le face à face avec le CNAPS, à travers un autre de ses organes.
L'article indique que le principal manquement imputable à la société serait l'absence de Registre des contrôles internes. L'obligation de tenir ce document est issue de l'article R 631-16 du Code de la sécurité intérieure, disposition intégrée au "Code de déontologie des personnes physiques ou morales exerçant des activités privées de sécurité". On peut s'étonner qu'une entreprise aux ressources et moyens importants n'ait pas été à même - si le manquement est véritablement établi - de produire un tel Registre, surtout après une première mise en garde lors d'un contrôle antérieur. Dans les sociétés de sécurité de taille modeste, il n'est pas rare que le dirigeant se satisfasse de la confiance placée en ses agents de sécurité, et dans un contrôle humain "à la culotte".
La tonalité générale de l'article laisse à penser que le CNAPS se signalerait pas une indulgence coupable à l'endroit des brebis galeuses de la profession. Or, rien n'est moins vrai.
D'abord, si l'entreprise sanctionnée n'avait pour l'essentiel qu'un défaut de Registre à se reprocher, son cas a en effet pu paraître bénin au régulateur de sécurité privée, encore trop fréquemment confronté à des entreprises au fonctionnement largement non conforme à la réglementation (défaut d'agréments, infractions à la législation sociale, etc...).
Ensuite, contrairement à ce qu'indique "La Lettre A", le CNAPS ne permet pas "aux chefs d'entreprise du secteur d'être jugés par leurs pairs". Les règles de composition des Commissions locales d'agrément et de contrôle sont fixées par l'article R 633-2 du Code de la sécurité intérieure, soit "sept représentants de l'Etat", "le procureur général", "le président du tribunal administratif", et "trois personnes issues des activités privées de sécurité". A nouveau, il ne s'agit pas d'un ordre professionnel, mais d'un organe d’une autorité administrative où les représentants de la profession apportent leur connaissance concrète et opérationnelle de leur secteur d'activités, et parfois un avis acerbe et éclairé sur la pertinence d'un argument formulé en défense.
En outre, comme l'ancien Président du CNAPS Alain Bauer le rappelait dans sa réponse aux critiques soulevées par la Cour des comptes en février 2018, les pairs des personnes mises en cause sont souvent plus intransigeants que les représentants de l'Etat et les magistrats, dès lors qu'ils savent ce que coûtent à toute la profession les dérives d'une partie de ses membres.
L'article affirme à tort que les sanctions prononcées par le CNAPS "sont le plus souvent d'ordre symbolique". Les Commissions n'hésitent pas à user des pouvoirs qui leur sont conférés par l'article L 634-4 du Code de la sécurité intérieure en prononçant pénalités financières lourdes et interdictions temporaires d'exercice toujours gravissimes quand elles ne sont pas fatales.
Enfin "La Lettre A" soutient que pour "ne pas nuire à la réputation des entreprises", le CNAPS "place au secret ses délibérés et actes de procédure". Pour autant, hormis le délibéré lui-même, et sauf exception, les séances des Commissions sont publiques en vertu de l'article R 634-2 du Code de la sécurité intérieure, et les décisions publiées au Recueil départemental des actes administratifs conformément à l'article 39 du Règlement intérieur du CNAPS. On ne peut donc pas suspecter une quelconque omerta, même si la profession plaide pour qu’une plus grande publicité soit faite aux sanctions, afin de dissuader les donneurs d’ordres de recourir aux services des opérateurs indélicats ou incompétents.
Sociétés de sécurité : le principe d'exclusivité bouleversé ?
Le 11 février 2020, le site d'informations sur la sécurité privée 83-629.fr a consacré un article au principe d'exclusivité en matière de sécurité, à la lumière d'un arrêt rendu en 2018 par la Cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 15 novembre 2018, N° 15LY02742), pour y voir une porte ouverte au retour des entreprises multi-servives de "facility management".
Le principe d'exclusivité trouve son origine dans l'article L 612-2 du Code de la sécurité intérieure. Ce principe érige un interdit dans deux dimensions. D'une part, il interdit aux sociétés de sécurité privée de réaliser toute activité qui ne constituerait pas de la sécurité, ou qui ne serait pas liée à elle, telle que la sécurité incendie. D'autre part, il interdit aux entreprises de sécurité bénéficiant d'une autorisation d'exercice délivrée par le CNAPS (Conseil national des activités privées de sécurité) pour une filière déterminée (surveillance humaine ou électronique, protection physique des personnes, transport de fonds) de proposer ses services dans une autre filière de sécurité.
Le respect de cette règle est contrôlé par les agents du CNAPS. Elle empêche des entreprises multi-services de proposer à la fois des agents de sécurité, des agents d'accueil, ou des prestations de ménage par exemple. Elle est facilement contournée dès lors qu'un même dirigeant ou qu'une même société mère peuvent créer des entreprises distinctes ou des filiales pour héberger ces activités incompatibles, compliquant seulement la vie des partenaires économiques en obligeant à multiplier les contrats de prestations de services.
On trouve peu de jurisprudence administrative en la matière, mais lorsque les juridictions administratives devaient appliquer l'article L 612-2 dans les procès intentés au CNAPS par des sociétés de sécurité contre des sanctions disciplinaires (article L 634-4 du Code de la sécurité intérieure), la règle ne posait pas de difficulté.
Par exemple, un arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 12 avril 2019, N° 17BX01006) a jugé fondée la sanction prononcée contre une société de sécurité qui employait à la fois des agents de sécurité et des agents d'accueil.
Pour le CNAPS, la portée du principe d'exclusivité s'étend encore plus loin. En effet, de nombreuses sociétés de sécurité pensaient ne pas enfreindre cette règle en sous-traitant à une autre entreprise soit une activité autre que la sécurité (accueil, ménage, etc.) soit une activité de sécurité autre que celle pour laquelle elles étaient spécialement agréées. Le CNAPS estimait au contraire que, dans la mesure où la société de sécurité concluait avec son donneur d'ordres un contrat global portant en partie sur des prestations qu'elle-même n'était pas autorisée à réaliser, elle devait être juridiquement considérée comme exerçant elle-même ces prestations, sans que la sous-traitance modifie cette analyse.
Or, l'arrêt du 15 novembre 2018 contredit la position constante du CNAPS. Sa particularité consiste en ce qu'il ne s'agit pas d'une procédure de contestation d'une sanction prononcée par l'administration, mais d'un cas d'engagement de responsabilité administrative en matière de marchés publics. Pourtant, la Cour va développer un raisonnement approfondi fondé sur la loi du 12 juillet 1983 (codifiée depuis), dont la portée ne peut pas être minorée.
Que dit la Cour administrative d'appel de Lyon ? Selon cette juridiction, le principe d'exclusivité n'interdit pas la sous-traitance, par une société qui ne fournit pas de prestations de sécurité et n'est pas agréée pour le faire, de ses obligations contractuelles en matière de sécurité, dès lors que son sous-traitant est titulaire d'une autorisation spécifique, et que lui-même n'est pas dirigé, géré ou associé à son cocontractant.
Les implications de cette décision de justice sont nombreuses. Elle signifie qu'une société dont l'objet social n'est pas la sécurité peut conclure un contrat portant en partie sur de la sécurité dès lors qu'elle sous-traite l'exécution de ses obligations à un opérateur autorisé par le CNAPS. Elle signifie également qu'une société de sécurité pourrait conclure un contrat de sécurité mixte, portant par exemple sur du gardiennage et de la protection rapprochée, dès lors que l'une ou l'autre de ces prestations serait sous-traitée. Elle signifierait également qu'une société de sécurité pourrait conclure un contrat multi-services (par exemple de sécurité et de nettoyage) dès lors qu'elle sous-traiterait l'exécution des obligations non sécuritaires.
Cet arrêt est donc susceptible de bouleverser l'application du principe d'exclusivité. Compte tenu des risques attachés à une procédure disciplinaire, la prudence commande peut-être d'attendre que d'autres Cours administratives d'appel et le Conseil d'Etat se prononcent sur ce point de droit, et stabilisent une jurisprudence encore trop rare.